top of page

Une riposte judiciaire

Lors de ses vœux à la presse le Président de la République a annoncé son intention de faire une loi pour combattre les fake news.

Pour mieux comprendre les enjeux de la riposte judiciaire, nous avons interviewé Maître Danielle ELKRIEF, spécialisée en Droit des Médias

Le Président de la République souhaite une loi sur les fakes news. Est-ce la bonne riposte ?

 

  • Rien n’est moins sûr. En réalité, cette législation pourrait – au prétexte de préserver l’information – s’apparenter à une forme de censure de la liberté d’opinion et d’expression qui sont nos valeurs les plus sacrées. Du reste, la démultiplication des lois ne peut que desservir l’intérêt général en ce qu’elle vise à répondre à des situations ponctuelles, sans réflexion sur la durée, et au détriment d’une adéquation avec les textes existants ou internationaux.

 

Ainsi, les critères légaux régissent déjà le droit d’informer en vertu de la loi du 24 Juillet 1881 [indépendance éditoriale, objectivité (et donc droit donné à la personne citée d’exprimer son point de vue), vérification des sources, absence d’animosité personnelle, légitimité du but poursuivi notamment].

 

L’article 93-2 de la Loi du 29 Juillet 1982 établit également que :

« Au cas où l'une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article 93-2 de la présente loi, le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public. A défaut, l'auteur, et à défaut de l'auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal. Lorsque le directeur ou le codirecteur de la publication sera mis en cause, l'auteur sera poursuivi comme complice. Pourra également être poursuivie comme complice toute personne à laquelle l'article 121-7 du code pénal sera applicable.

Lorsque l'infraction résulte du contenu d'un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message. » NOTA : Dans sa décision n° 2011-164 QPC du 16 septembre 2011 (NOR : CSCX1125370S), le Conseil constitutionnel a déclaré, sous la réserve énoncée au considérant 7, l'article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 modifiée sur la communication audiovisuelle conforme à la Constitution.

 

Le délit de fausses nouvelles est également déjà prévu par l’article 27 de cette loi : les faits publiés doivent être faux, avoir troublé l’ordre ou la paix publique et l’auteur doit avoir agi de mauvaise foi.

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006419726&cidTexte=LEGITEXT000006070722&dateTexte=20180130.

 

Si ce chef d’infraction était jusqu’à présent tombé en désuétude, il revient à la surface et contient un élément substantiel à mon sens qui est la preuve formelle de la mauvaise foi de l’auteur. A défaut, peut-on réellement évoquer la notion de délit ou simplement de désinformation ? Je ne le crois pas. Le fait de troubler l’ordre public est le propre du journaliste, professionnel ou amateur. La complaisance est contraire à sa déontologie si et seulement si il respecte les critères essentiels rappelés ci-avant (vérification, objectivité, but légitime, respect de l’autre (on peut être critique tout en restant à sa place et en ne se substituant pas au pouvoir judiciaire) et donc absence de mauvaise foi)

 

De jurisprudence constante en-effet :

 

"La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique (et) vaut non seulement pour les informations accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent"  (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 15 mars 2016, 14-88.072, Légifrance Inédit)

 

«  Le débat d’idées, la manifestation d’une opinion ou le jugement de valeur résultant du libre droit de critique n’est pas condamnable, ce même lorsque les propos publiés sont « extrêmement critique[s] » exprimés de manière « violente et provocante » (TGI Paris 17è 29 Mai 2008 Legipresse n°254, septembre 2008-I-115) ou encore avec un « un ton indéniablement polémique » (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 15 mars 2016, 14-88.072, Légifrance Inédit).

 

Cette exonération de responsabilité fondée sur le sacro-saint principe de la liberté d’expression est d’autant plus admise lorsque les assertions litigieuses, qui s'inscrivent «  », émanent d’un particulier ne justifiant pasdu statut d’un journaliste professionnel. (Cour de Cassation 2016 précité).

 

Ces principes essentiels s’inscrivent de surcroit dans le respect des limites et de la définition des devoirs et responsabilités des journalistes et amateurs qui sont encadrés très strictement au visa des dispositions des articles 10 alinéa 1 de la CESDH , 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 , de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) , de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne du 7 décembre 2000.

 

Par ses arrêts, la Cour de cassation a ainsi toujours rappelé que « . »

 

Par voie de conséquence, et sauf à limiter à mon sens dangereusement la liberté d’opinion et d’expression, a fortiori dans le contexte politique actuel où la montée des extrémismes de tout bord est à déplorer, seul le pouvoir judiciaire doit être amené à apprécier le délit de fausses nouvelles.

 

 

-Est-il possible de légiférer les réseaux sociaux ?

 

  • Oui nécessairement et c’est déjà en cours au travers de la Loi République Numérique du 7 Juillet 2016, de l’amendement en cours de débat actuel permettant une action de groupe contre les plateformes qui utiliseraient des données personnelles, et de la refonte toujours en débat de la LCEN de 2014.

 

 -Une loi française peut-elle faire le poids face à une menace internationale ?

 

  • Sans une intervention politique concertée au niveau européen et international, évidemment non.

 

-Selon vous quelle est la meilleure stratégie pour combattre les fakes news ?

 

  • L’éducation au sens de l’instruction, de l’estime de soi et du respect de l’autre (au sein de la famille et à l’école) + la reprise de la croissance économique (une situation politique et économique permettant de se projeter, en ce compris pour ses enfants, dans un avenir plus sécurisé et moins instable réduira les peurs et la volonté de se retrancher derrière l’ignorance crasse et le rejet de l’autre).

 

-La tache est très grande, une riposte est-elle vraiment possible ?

 

  • Et pourquoi pas ? L’Histoire nous a montré que l’être humain est empli de ressources et que le balancier se rééquilibre toujours ! A vous d’en être convaincu et de vous mobiliser pour ce faire :)

bottom of page